Le vieillissement de la population française est une réalité incontournable : d’ici 2040, un quart des Français aura plus de 65 ans. Pourtant, il demeure un angle mort, un tabou collectif qui paralyse aussi bien les citoyens que les décideurs publics.
L’étude menée par L’ObSoCo pour le GIE Viseha met en évidence un phénomène inquiétant : le vieillissement fait peur, et cette peur empêche une véritable prise en compte du sujet, à la fois sur le plan individuel et collectif.
Pourquoi ce déni ?
Plusieurs facteurs y contribuent :
- Une confusion entre vieillissement et dépendance : Vieillir ne signifie pas forcément être dépendant. Or, en l’absence de nuances, le sujet est repoussé jusqu’à ce qu’il devienne une urgence.
- La société de la performance : Elle valorise la jeunesse et la productivité, rendant plus difficile l’acceptation des fragilités liées à l’âge. Invisibiliser le vieillissement revient à s’en protéger, du moins temporairement.
- Un manque de représentation et d’anticipation : Le vieillissement est perçu comme un problème lointain, rarement anticipé. Résultat ? Des décisions tardives et subies plutôt que choisies.
Vieillir ne signifie pas forcément être dépendant
L’un des enjeux majeurs est de dissocier vieillissement et dépendance. L’allongement de l’espérance de vie, les campagnes de prévention et les progrès médicaux permettent à de nombreuses personnes âgées de rester autonomes jusqu’à la fin de leur vie. Pourtant, l’image dominante reste celle d’une vieillesse synonyme de perte d’autonomie, alimentant un sentiment de rejet et de peur.
Cette perception biaisée a des conséquences directes : faible anticipation, inadaptation du logement et manque d’offres adaptées. Aujourd’hui, seuls 6 % des logements sont adaptés à la perte d’autonomie, alors que plus de 130 000 hospitalisations et 10 000 décès sont causés chaque année par des chutes domestiques.
Logement et vieillissement : sortir du modèle binaire
Le maintien à domicile reste la solution privilégiée par la majorité des séniors, mais il devient un piège si le logement est inadapté. D’un autre côté, les Ehpad restent fortement médicalisés et mal perçus, souvent associés à une perte totale d’indépendance.
Entre ces deux options extrêmes, des alternatives existent mais sont encore trop méconnues :
Résidences services seniors (RSS), qui allient autonomie et services adaptés.
Colocations entre seniors, permettant de maintenir un cadre de vie dynamique et socialement enrichissant.
Formes d’habitat collectif innovantes comme les béguinages ou le modèle Babayaga.
Plutôt que d’imaginer des solutions pour les personnes âgées, pourquoi ne pas les concevoir avec elles ?
L’invisibilisation du vieillissement dans notre société est aussi liée à une absence de dialogue avec les premiers concernés : les personnes âgées elles-mêmes.
L’approche inclusive et participative du marketing et du design peut changer la donne. En intégrant dès la conception des seniors, des aidants et des experts, il est possible de :
Mieux identifier les besoins et freins réels.
Concevoir des logements et services qui respectent leurs aspirations (mobilité, indépendance, sécurité).
Anticiper l’évolution des usages pour éviter des solutions trop rigides ou inadaptées.
La génération sandwich : un tournant pour l’anticipation ?
Si les générations actuelles repoussent encore l’anticipation du vieillissement, cela pourrait bien changer sous l’effet d’une massification de l’aidance. En 2030, un salarié sur quatre sera aidant. Ces aidants, souvent quadragénaires ou quinquagénaires, jonglent entre leur travail, leurs enfants et leurs parents vieillissants.
Cette "génération sandwich", confrontée quotidiennement aux difficultés liées au vieillissement de leurs proches, pourrait impulser un changement de regard :
Plus d’anticipation sur l’adaptation du logement.
Une exigence accrue en matière de solutions résidentielles flexibles.
Une aspiration à plus de liberté et de modernité, loin des schémas traditionnels.
Construire une société de la longévité
Plutôt que de voir le vieillissement comme une fatalité, il est urgent d’adopter une approche proactive et positive :
Mieux représenter les personnes âgées pour éviter leur mise à l’écart du débat public.
Promouvoir des solutions de logement adaptées et inclusives, intégrant le design universel.
Valoriser la diversité des parcours de vieillissement, au lieu de tout réduire à la dépendance.
Le vieillissement est une transition majeure pour nos sociétés. Il est temps de passer d’un modèle subi à une véritable culture de la longévité, en plaçant la co-construction et l’innovation au cœur des solutions.
Et si nous faisions de la prise en compte du vieillissement un levier d’innovation et de valeur ?
Sources
Article de la Fondation Jean Jaurès du 28 février 2025 : « Le grand âge : un impensé français ».
Newsletter de l’ObSoCo du 7 mars 2025 : « La France vieillit mais refuse de le voir ».